Philippe Bender, historien et membre de la Constituante, rappelle la chronologie des Constitutions valaisannes et décrit les défis relevés avec succès par la nouvelle Constitution soumise au vote populaire le 3 mars 2024. Texte paru dans le Confédéré et reproduit avec son aimable autorisation.

De 1802 à 1907, on dénombre 8 constitutions successives. La plus éphémère a duré quelques mois (1839-1840, guerre civile), la plus longue, trois décennies (1875-1907). Que signifie cette multiplication ? La traduction dans le droit fondamental des changements intervenus dans la réalité valaisanne, la politique, l’économie et la société.

La constitution de 1907

La constitution adoptée par le Grand Conseil, établi en Assemblée constituante, le 8 mars 1907, fut votée par le peuple, le 12 mai, par 8’144 voix contre 1’621 voix, à une participation jugée faible de 40%.

Elle a été révisée à maintes reprises, près des deux tiers de ses dispositions originelles ont été modifiées. Cela montre à quel point le texte de base méritait une révision globale. A force de rapiécer la tunique, elle ne pouvait que perdre en unité et en harmonie !

En 2007, le PLR lança une initiative visant à une réforme totale, mais la tentative n’aboutit pas, les 6’000 signatures n’étant pas récoltées.

En 2015, une dernière « grande » révision partielle (R21), votée par le Grand Conseil, appuyée par le Conseil d’Etat, échouera devant le peuple, notamment à cause de la règle de protection électorale, dite de « Beat Rieder », introduite à l’ultime moment, garantissant 35 sièges de députés au Haut-Valais, quelle que soit sa population. Cette « manœuvre » poussera le Bas-Valais à rejeter le projet, et à un vote blanc plus élevé que la moyenne. Car le principe de la représentation proportionnelle est l’un des fondements de notre démocratie moderne, et qu’il fut la cause de bien des malheurs, des troubles et des guerres au XIXe siècle.

Le succès du 4 mars 2018

Une autre tentative, issue de plusieurs mouvements et partis, se révèlera plus heureuse en 2018 : le peuple approuva l’idée d’une révision totale par 73% des voix, par une assemblée constituante (61,5%). Une constituante de 130 membres fut élue en novembre 2018, comprenant 47 PDC (y compris CSPO et CVPO) ; 21 VLR (Valeurs libérales-radicales) ; 21 UDCVR-SVPO ; 16 Appel citoyen ; 10 Verts ; 10 Socialistes ; 5 Avenir Haut-Valais.

Le vote de la Constituante du 25 avril 2023

Le travail de révision, en commissions, sous-groupes préparatoires, passera par deux lectures plénières (trois pour certaines règles). Il aboutit le 25 avril 2023, à un texte comportant 190 articles, voté au final par 87 oui contre 40 non, et à une variante, acceptée par 87 oui contre 29 non et 7 abstentions (droits politiques aux personnes étrangères sur le plan communal).

Le vote populaire du 3 mars 2024

A cette date, le peuple sera appelé à se prononcer : son vote sera décisif. Il devra donner deux réponses : l’une au projet global et l’autre à la variante. (…) Le calcul de la majorité populaire devra prendre en compte le nombre de votants, selon la constitution actuelle (art.106), donc aussi les bulletins blancs. Ainsi si l’on dénombrait 99 votants, soit 44 non et 5 blancs, il faudra 50 oui pour atteindre la majorité qualifiée, et non seulement 45, soit la majorité simple.

Le travail de révision a demandé du temps, fut fastidieux parfois, les circonstances pas toutes favorables (Covid). Ajoutons-y le bilinguisme, qui nécessita la traduction simultanée des débats en séances plénières ainsi que des rapports et documents importants.

Somme toute, voilà une œuvre imparfaite, mais démocratique, élaborée par une constituante élue par près de la moitié du peuple valaisan. Ni l’œuvre de théoriciens illuminés, les propositions les plus éloignées de la réalité étant repoussées. Ni le simple toilettage de la constitution de 1907. Mais un projet de constitution moderne, ouverte, souple. Relevons encore ce point important : il appartiendra à la législation élaborée par les prochains parlements de préciser les principes formulés, en les faisant descendre dans la réalité et les niveaux de l’Etat de droit.

Un mot sur les coûts ! Les chiffres avancés sont pour le moins aléatoires, exagérés. On semble les agiter comme la cape du matador devant le taureau, pour exciter les passions et égarer les esprits. Or, la démocratie valaisanne n’est pas une course de taureaux, un après-midi dans l’arène ! Les coûts de l’aménagement d’une démocratie dans un canton vivant au XXIe siècle, comprenant bientôt près de 400’000 habitants, seront échelonnés et pondérés, à la mesure de nos capacités financières. Avancer des chiffres fantaisistes, soit 10 millions par-ci, 50 millions par-là, relève de la pure démagogie, d’une logorrhée verbale dans un Grand Conseil prompt à s’émouvoir. Qui ose prétendre que l’exercice que vient de vivre le parlement cantonal est digne du service de notre pays ?

La Constituante avait 5 défis majeurs à relever :

  1. L’aggiornamento de nos institutions, à tous les niveaux :
    • Le gouvernement est porté à 7 membres, il n’y a là rien d’excessif dans un Etat cantonal doté d’un budget de plus de 4 milliards, comptant une fonction publique nombreuse, centrale, territoriale, sanitaire, enseignante, etc. Considérons encore que ce chiffre assurerait deux sièges au Haut-Valais.
    • Le Grand Conseil reste à 130 membres, avec autant de députés suppléants, afin de couvrir l’ensemble du territoire, la plaine et la montagne, les villes et les vallées, les bourgs. L’élection du parlement aura lieu dans les 6 régions, au scrutin proportionnel direct, avec un quorum à 5%.
    • Les 13, ou plus juste les 14 districts, car les deux Rarogne sont des districts de plein droit depuis 1985, seront remplacés par 6 régions. Voilà une réforme d’envergure !
    • Les communes, les bourgeoisies, trouvent un statut renforcé. Ajoutons la généralisation du Conseil général, institution de la démocratie représentative, pour les communes de plus de 5’000 habitants (mais la faculté d’en refuser l’introduction par vote populaire).
  2. La consolidation de l’unité cantonale, sur les plans politique, culturel (bilinguisme) et social (solidarité sociale). Unité et diversité ; affirmation pour la première fois de cet idéal dans une constitution ; hier, cause de guerres civiles, demain, source de bonne harmonie. La défense des intérêts cantonaux à Berne ; la volonté d’étendre le canton aux régions alpines dans divers domaines.
  3. L’élargissement des tâches publiques, commandé par l’évolution du pays ; les budgets de l’Etat et des communes qui s’accroissent ; ainsi, 45 articles sur 190 sont consacrés aux tâches publiques, ce qui montre le rôle grandissant de l’Etat, du canton et des communes, mais encore de la Confédération (compétences propres et compétences déléguées). Mais, juste corollaire, le frein général aux dépenses, qui est maintenu fermement, avec l’accent mis sur le contrôle des finances.
  4. L’affirmation des droits sociaux et fondamentaux, repris largement du droit international et fédéral. Le système judiciaire est repensé, même si l’on refuse de glisser sur la pente d’un gouvernement des juges. Aussi, la professionnalisation des juges de communes, et la dépolitisation des juges cantonaux ; l’aménagement d’une cour de droit de la famille.
  5. Les rapports entre l’Etat et les Eglises, du domaine des cantons. Les deux principales Eglises sont reconnues de droit public, avec la substitution du canton aux communes pour leur financement général, et l’instauration d’un strict droit de contrôle. L’affirmation des libertés de conscience et de croyance, de la paix confessionnelle. Le Préambule fut un autre défi à relever : en ce cas, les deux commissions et l’assemblée plénière ont adopté un texte modéré, unissant tradition et modernité, reliant le passé, le présent et l’avenir, comme le montre une lecture intégrale, apaisée, du texte voté. 

Philippe Bender, historien, constituant VLR