Lorsque Montesquieu invente le principe de séparation des pouvoirs, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont entre les mains d’une seule et même personne : le Roi de France. Aujourd’hui, certains opposants à la Constitution veulent faire croire que l’élection de Martine, stagiaire au service de la chasse, comme suppléante au Grand Conseil constitue une « violation inacceptable de la séparation des pouvoirs ». A les entendre, on croirait le Valais près de revenir au temps du Prince-Evêque !

Que prévoit le projet de Constitution ?

Le projet de Constitution consacre le principe de la séparation des pouvoirs à l’article 56 et détaille les incompatibilités de fonction à l’article 59 qui dit ceci :

  1. Nul ne peut être membre simultanément du Grand Conseil, du Conseil d’État ou du pouvoir judiciaire. […]
  2. Ne peuvent être membres du Grand Conseil :
    • les membres du personnel de l’administration cantonale et du pouvoir judiciaire qui disposent d’un pouvoir décisionnel ou de police, ainsi que les collaboratrices et collaborateurs du Grand Conseil et de l’entourage immédiat du Conseil d’État et de la Chancellerie d’État. La loi définit ces catégories ;
    • les personnes qui exercent une fonction dirigeante ou un mandat dans un conseil d’administration au sein d’établissements autonomes de droit public et d’entreprises au capital social desquelles l’État détient une participation majoritaire.

      Cet article change la situation actuelle. L’article 90 de la Constitution actuelle (modifié en 1993) décrète en effet que la loi “veille notamment à éviter que le même citoyen occupe simultanément des fonctions qui relèvent de plusieurs pouvoirs publics”.  La loi interdit dès lors à tout membre de l’administration cantonale de siéger au Grand Conseil à moins d’abandonner son emploi. Le personnel enseignant fait exception à la règle.

      Le projet de nouvelle Constitution supprime l’inégalité devant l’élection entre le personnel enseignant et le reste du personnel de l’Etat : en principe, tous les membres du personnel de l’administration cantonale doivent pouvoir se porter candidats au Grand Conseil. En application de la séparation des pouvoirs, les personnes ayant « un pouvoir décisionnel ou de police » restent toutefois inéligibles. Le Grand Conseil sera amené à définir précisément ces catégories. L’expression “pouvoir décisionnel” est suffisamment large pour laisser une marge de manœuvre. Le Grand Conseil jugera quels postes de l’administration participent effectivement à l’exercice du pouvoir exécutif et doivent rester incompatibles avec un siège au pouvoir législatif et il l’inscrira dans la loi. Les membres de l’entourage professionnel immédiat du Conseil d’Etat, les chefs de service, la Chancellerie ou le service parlementaire, resteront de toute façon inéligibles. Pour l’anecdote, cette incompatibilité rappelle d’ailleurs le texte original de la Constitution de 1907 (avant la modification de 1993) qui disait à son art. 49 : “le mandat de député au Grand Conseil est incompatible avec les fonctions et les emplois dans les bureaux du Conseil d’Etat”. Martine, notre stagiaire du service de la chasse, a peu de chance de travailler ne serait-ce qu’à proximité des bureaux du Conseil d’Etat…

       

      Les mêmes droits politiques pour toutes et tous

      23 cantons sur 26 autorisent les membres du personnel de l’Etat à siéger au Grand Conseil avec peu ou pas de restrictions. C’est le cas pour tous les cantons romands (voir par ex. Art. 49 LEDP Fribourg ou art. 21 LRGC Genève). Vaud a même abrogé en 1947 déjà ces incompatibilités héritées du 19e siècle. Le texte proposé par le projet de Constitution valaisanne est inspiré de la Constitution de Neuchâtel (art. 48). Le Tribunal Fédéral a été saisi de cette question de la séparation des pouvoirs et n’a pas estimé qu’un poste d’employé d’Etat était incompatible avec un siège au Parlement cantonal. La supposée “violation inacceptable de la séparation des pouvoirs” brandie par les opposants à la Constitution n’en est donc clairement pas une. 

      Et pour cause, interdire à une personne de se porter candidate au Grand Conseil pour la seule raison qu’elle travaille dans l’administration cantonale serait une restriction disproportionnée de ses droits politiques. La création de citoyens de seconde classe.

      Rappelons aussi un point essentiel : être éligible ne signifie pas être élu ! Il faut d’abord avoir un intérêt pour la politique, des disponibilités familiales et professionnelles : les employeurs sont ici en première ligne. Ensuite, il faut qu’un parti accepte de vous mettre sur une liste : les partis sont responsables de proposer des listes équilibrées. Enfin, il faut que la population vous élise. Si vous êtes élu, alors vous avez une légitimité démocratique pour représenter le peuple souverain au parlement cantonal.

       

      Transparence et récusation

      Le Grand Conseil représente la diversité des professions présentes en Valais. A ce titre, tous les membres du Grand Conseil sont amenés à se prononcer sur des questions qui parfois les concernent. Dans l’activité législative du Grand Conseil, lorsqu’il s’agit de rédiger des lois, il est normal et souhaitable dans notre système de milice que les membres du Grand Conseil puissent s’exprimer sur de tels sujets. Ils le font en plein transparence puisque leurs liens d’intérêt (donc leur professions) sont publics (Art. 60). Le Grand Conseil débat et décide en connaissance de cause.

      Bien sûr, il peut arriver aussi lorsqu’une question est traitée au Grand Conseil qu’un conflit d’intérêt apparaisse. Ce genre de conflit ne se gère toutefois pas avec une interdiction générale d’être candidat, mais avec le principe de récusation. Le devoir de récusation en cas d’intérêt personnel direct est ancré dans le projet de Constitution (Art. 61) : quiconque a un intérêt personnel direct dans un dossier traité doit se récuser. Un employé d’Etat élu pourrait donc devoir se récuser pour des situations qui le concernent directement. Il pourrait par contre traiter toutes les autres affaires du Grand Conseil. Le risque de conflit d’intérêt concerne d’ailleurs tout le monde. Les employés communaux ou présidents de communes, les agriculteurs ou professions libérales siégeant au Grand Conseil peuvent également être amenés à se récuser sur l’un ou l’autre dossier où ils auraient un intérêt personnel direct (un agriculteur pour un crédit étatique qui lui bénéficie directement, une présidente de commune pour une subvention pour sa commune, un artiste pour des subventions pour la culture, etc).

      En bref, la nouvelle Constitution propose ici un compromis adéquat et prudent, permettant une égalité des droits des citoyens devant l’élection au Pouvoir législatif. Elle respecte le principe de la séparation des pouvoirs et s’approche de la pratique de la grande majorité des autres cantons. La question de la mise en œuvre détaillée reviendra sur la table du Grand Conseil lors de l’élaboration de la loi. Les restrictions par rapport à certaines fonctions dirigeantes au sein de l’administration cantonale pourront être définies précisément à ce moment-là. 

       

      Martine devrait, elle, pouvoir se porter candidate à la suppléance si elle le souhaite. On lui souhaite une belle expérience politique!