Par Jean-Pierre Rey, Constituant VLR
Bon nombre d’arguments avancés dans la campagne au sujet de la nouvelle constitution valaisanne m’interrogent sur la bonne compréhension tant de la construction du projet que des enjeux de cette votation. Aussi, dans l’intention de montrer que le processus démocratique s’est pleinement réalisé et que le projet s’est bâti pierre après pierre durant tout le projet de Constituante, je prends ma plume pour évoquer quelques apprentissages effectués durant ces 4.5 années et pour partager un peu de l’histoire du « vécu de l’intérieur ».
En août 2018, j’étais un parfait ignorant en politique. Lorsque l’élection à la Constituante a été lancée, je ne connaissais pas grand-chose de la Constitution, tant sur le contenu que sur la manière de la construire. Jusqu’à ce que j’aperçoive la possibilité citoyenne de participer à ce projet.
Première phase, les apprentissages liés à l’élection
Mes premiers apprentissages sont donc naturellement liés à l’acte de candidature : avant de vérifier si mes compétences pouvaient être utiles au projet et si les valeurs profondes des différents groupes politiques correspondaient aux miennes, j’ai tout d’abord tenté de répondre à la question : mais qu’est-ce que réellement une constitution ? à quoi sert-elle ?
J’avais donc appris que, dans l’édification d’un État, la constitution définit les principes fondamentaux de sa gouvernance et de la protection des droits des citoyens. Qu’elle dessine les contours du pouvoir politique. Qu’elle instaure une séparation des pouvoirs et des systèmes de contrôles et d’équilibres de manière à se prémunir des excès de pouvoir.
Qu’au-delà de son rôle structurant, la constitution est le ciment de notre identité collective, reflétant les valeurs et les aspirations de cet Etat. Qu’elle est le garant des droits inaliénables de chaque individu – la liberté d’expression, le droit à la justice, et la protection contre toute forme de discrimination ; pour s’assurer que dans une société démocratique, chaque citoyen soit traité avec équité et respect.
Finalement, j’ai appris qu’une constitution devrait être vivante, capable d’évoluer avec le temps, qu’elle peut être amendée pour refléter les transformations de la société, assurant ainsi que le cadre légal reste pertinent et adapté aux réalités contemporaines. Et que cette flexibilité est vitale pour maintenir la pertinence et l’efficacité du système politique.
Une fois que j’avais compris que la Constitution était un texte fondateur à partir duquel toutes les lois découlaient, que j’ai pu sentir que bâtir un tel texte nécessiterait passablement de recul et de hauteur, et comme je n’avais jamais fait de politique, je me suis attelé à chercher une définition de la politique dans son sens le plus noble. Voici ce qui m’avait convenu : la politique peut être définie comme l’art et la science de gouverner et de guider une société humaine vers le bien commun. La politique implique la prise de décisions éclairées et justes qui visent à organiser et harmoniser les intérêts variés au sein d’une communauté, en mettant l’accent sur la justice, l’égalité et le respect des droits de chacun. La politique se distingue par son dévouement au service public, sa quête incessante du progrès social, et son engagement à préserver les libertés fondamentales tout en promouvant la paix et la prospérité collective. Elle est l’expression de la volonté collective, visant à créer une société où règnent l’harmonie, la sécurité et le bien-être pour tous.
La dernière démarche effectuée pour l’élection m’avait fait étudier quelle liste électorale citoyenne pourrait le mieux correspondre à mes valeurs : je l’avais fait en réfléchissant à ce que j’avais déjà concrètement réalisé pour que la liste qui accepterait ma candidature soit claire avec mes manières d’être et de faire (https://www.un-autre-regard.ch/constituante/). J’ai donc appris la clarté par rapport à mes valeurs profondes.
Deuxième étape : la plongée dans le grand bain
J’ai eu la chance d’être élu et je faisais partie de cette moitié approximative de constituantes et constituants qui, comme moi, n’avaient pas (ou peu) d’expérience politique et qui, pour la plupart, n’ambitionnaient pas d’en avoir dans le futur. En cela, la volonté du peuple d’élire une constituante pour réviser cette constitution a été respectée car les partis avaient ouvert leurs listes à des citoyens pas forcément impliqués dans la politique et les coulisses de celles-ci.
Très vite le premier apprentissage est arrivé : avec 3 autres constituants de 3 autres mouvements politiques, autant débutants que moi, nous avons proposé un mode de gouvernance participatif innovant (collège présidentiel). Les « sachants » politique promettaient que ça ne marcherait pas. Au final, le collège a fonctionné à satisfaction de tous.
Les 4.5 années de travaux ont été riches d’expériences et d’enseignements. Je cite les apprentissages les plus marquants dans les paragraphes suivants.
J’ai appris que, pour bâtir un projet depuis la page blanche, la diversité d’expériences et le mélange entre débutants et expérimentés sont une grande richesse : au début, il y a certes eu bon nombre d’idées créatives et assez éloignées d’un niveau constitutionnel mais représentatives de la société citoyenne fortement représentée avec tous les « politiciens néophytes » qui composaient l’assemblée.
J’ai appris à être curieux à aller rechercher des informations pertinentes et fiables, à ne croire personne(même pas moi et mes certitudes). Mais d’aller vérifier la pertinence de croyances discutées, de les confronter à des avis externes, d’élargir ces opinions avec des idées nouvelles, etc. Cela m’a demandé beaucoup d’écoute, d’ouverture d’esprit et de temps pour me forger, le plus souvent possible, des opinions construites plutôt que purement émotionnelles ou réactives. Il m’est même arrivé de modifier mon vote prévu en plénum grâce à une argumentation d’un avis opposé au mien que je n’avais pas envisagée et qui m’a convaincu.
Rester le plus libre d’esprit possible implique que les plus gros « clashs » ont eu lieu avec les personnes de mon groupe, censées être le plus proche possible de mes idées et valeurs. J’y ai appris à la fois le courage d’exprimer clairement mes positions et la clarté dans la communication pour pouvoir me positionner vis-à-vis du groupe sans forcément le pénaliser.
Pour arriver à un texte consensuel, il m’a fallu apprendre la patience. En effet, il était souvent évident de deviner la tendance finale qui émergerait de tel ou tel article. Nous avons parfois ré-entendu durant plusieurs plénums, les mêmes avis figés pour arriver quasiment aux mêmes résultats lors des votes. J’ai également appris que cela fait pleinement du processus d’une démocratie saine où la multiplicité des avis existe et où, finalement, une majorité de personnes réussissent à s’entendre pour que la décision soit la plus représentative possible.
J’ai appris la confiance. Car seule une minorité de constituantes et constituants ont eu la connaissance fine et l’intérêt pour tous les chapitres. Il a donc fallu déterminer les personnes aptes à défendre des dossiers qui m’échappaient et qui y mettaient le bien commun comme valeur cardinale. Puis leur faire confiance.
Membre actif de la commission de participation citoyenne, j’ai pu apprendre que la mise en consultation de projets pouvait contribuer à enrichir et donner d’autres perspectives à la construction en cours.
Pour moi, rejeter d’un revers de main toute la constitution à cause d’un ou deux articles c’est oublier les 250 séances de commissions thématiques, les heures de séances dans les groupes, les heures de travail à ouvrir sa pensée à d’autres avis, l’écoute patiente et attentive d’avis fort éloignés des miens, les près de 2000 votes effectués. J’ai donc appris que la démocratie prend du temps. Dans cette constituante, un vrai travail démocratique a été effectué. Et pour le texte final, aucun élu ne peut prétendre être satisfait à 100% (cf. http://www.quivotequoi.ch/). Par contre, aucun élu ne peut prétendre que le travail réalisé n’a pas été démocratique.
J’ai appris autant la grandeur d’âme que l’étroitesse de certains esprits. J’ai appris, parfois au forceps, que la différence entre dogmes, idéologie et idées existait et que le dogme et l’idéologie peuvent être très dangereux pour une démocratie prônant le bien commun en valeur absolue ; car, ils amènent à vouloir imposer leur vision réduite du bien commun. Une observation pour illustrer cet apprentissage : il m’est difficile de constater que bon nombre d’opposants au texte le font en voulant « surpolitiser » le texte. En ne basant leur rejet, que sur un nombre minimal d’articles décrivant, par exemple, les modes d’élection et les droits politiques. Ou, pire, en appuyant leur argumentaire sur l’un ou l’autre article alors que leurs motivations profondes sont beaucoup plus obscures. Pensez-vous que certains élus pour représenter notre canton (conseil d’Etat, conseil national, conseil des Etats) qui œuvrent pour le non à la nouvelle constitution, le font avec la grandeur d’âme nécessaire à représenter l’ensemble de la population ou pour des raisons bien moins nobles, pas forcément publiquement exprimées, au nom de la politique ?
J’ai appris que vouloir bâtir un article sur de « la peur de perdre quelque chose » avait un fort pouvoir de contraction de l’assemblée ; et que chaque fois qu’un article était construit dans « l’avancement en confiance pour la société de demain » l’atmosphère au sein de l’assemblée était bien plus agréable. J’ai senti qu’œuvrer pour un futur agréable permettait beaucoup plus de créativité qu’agir en réaction contre des menaces perçues, réelles ou non.
Les deux derniers apprentissages
Finalement, peut-être l’apprentissage le plus important pour moi. En 2024, tous les objets de votation sont complexes et ne peuvent être réduits à quelques arguments simplistes et populistes (ce projet de constitution de par sa largeur l’est peut-être encore plus que les autres). Chaque fois que pour une votation, je ne pourrais pas prendre le temps de me forger ma propre et solide opinion en croisant les divers points de vue et impacts, je ferai confiance au processus démocratique qui aura amené la décision parlementaire par les personnes élues. Car j’ai pu expérimenter durant ces 4.5 années que la pluralité politique du canton (et de facto de notre pays) amène à des décisions représentatives de la majorité de la population.
J’ai appris également qu’une assemblée constituante citoyenne élue qui a œuvré à l’élaboration d’un tel texte est vraiment représentative des préoccupations de la population ; ce d’autant plus qu’elle était indépendante du Grand Conseil et composée de beaucoup de personnes engagées uniquement pour cet exercice. Comme l’acceptation du projet par le plénum est le fruit savant et complexe d’un long processus démocratique consensuel, toutes les personnes qui ne s’informent qu’en superficie sur les enjeux de l’acceptation ou du refus du texte pourraient-elles s’aligner sur la décision finale du plénum ?
La conclusion
Chères lectrices, chers lecteurs, irez-vous voter ?
Pouvez-vous percevoir que le processus démocratique, semblant parfois être bien mis à mal dans cette campagne, a ici fonctionné de manière très citoyenne et peut-être pourrez-vous vérifier auprès des personnes que vous avez élues si elles se retrouvent dans ce témoignage ?
Si vous irez voter, prendrez-vous le temps de vous forger une opinion propre et représentative de la complexité du projet ?
Chercherez-vous à percevoir que le texte qui vous est soumis est à même de façonner vos existences, celles de vos enfants et de vos petit-enfants, durablement dans une société qui a subi (et continue de traverser) des transformations radicales depuis 1907 ? Et que bon nombre de lois vont devoir être modifiées/créées pour refléter ces principes ?
D’ici quelques semaines, ma carrière politique prendra fin avec la satisfaction et le sentiment d’avoir été un privilégié d’avoir pu y participer. Privilégié d’avoir pu ressentir à nouveau la fraîcheur et l’émerveillement du débutant. Privilégié d’avoir pu connaître et côtoyer des personnes que je n’aurais jamais rencontrées. Privilégié d’avoir pu mettre mon temps, mon vécu et mes compétences au service d’une cause noble.
J’espère sincèrement que ce projet sera accepté car il a été élaboré dans un souci de cohérence et de consensus et a voulu répondre aux attentes de notre siècle. S’il est accepté, son application par le Grand Conseil sera étalée dans le temps selon les disponibilités financières du canton. Pour moi, c’est une opportunité fantastique car nous avons posé des principes généraux qui seront mis en œuvre démocratiquement par toute une génération qui pourra inventer son futur sur une base solide.
Si le projet est refusé, l’ancienne constitution restera en vigueur et les quelques éventuelles modifications seront réalisées au coup par coup, sans souci de cohérence globale du texte et de manière certainement beaucoup plus politisée car toute la démarche citoyenne initiale ne sera pas réalisée et le Canton continuera donc à s’appuyer sur une constitution d’un autre temps[1].
J’espère du fond du cœur que ces quelques mots puissent être aidant pour vous permettre de vous forger une opinion peut-être différente de celles, souvent focalisées sur un nombre très réduit de thèmes, véhiculées par des personnes semblant plus avides de gagner la votation que de réellement considérer le bien commun général de tous les citoyens du canton.
Jean-Pierre Rey, constituant VLR, 8 février 2024
[1] Il est autant amusant qu’édifiant d’effectuer quelques recherches sur ce qu’était le Valais en 1907 et de s’imaginer être une citoyenne ou un citoyen de l’époque.